dimanche 16 mai 2010

Des gouvernements affaiblis tentent de renflouer d'autres gouvernements affaiblis.

Lundi dernier, les marchés étaient euphoriques réagissant à l'annonce, la veille, de la mise en place d'un plan de stabilisation massif pour sauver l'économie européenne de la catastrophe. Leur enthousiasme a baissé d'un cran mardi, avec la fin du rallye boursier, et encore un peu plus dans les jours suivants avant de se transformer en franche dégringolade vendredi 14 mai. Tout parait néanmoins être rentré dans l'ordre: le plan d'urgence élaboré à Bruxelles offre un répit des plus nécessaires aux pays en difficulté; il pourrait même sauver le projet d'intégration européenne (sans lequel plusieurs Etats seraient obligés d'abandonner l'euro, ce qui serait une catastrophe). Que des bonnes nouvelles, en somme - à condition que tout fonctionne comme prévu.

Malheureusement pour Bruxelles, ce n'est pas dans la capitale belge que se décidera l'avenir du plan. Les vraies décisions seront prises au Portugal, en Espagne, et en Italie. Ce ne sera pas facile; il faudra se serrer la ceinture et faire des choix difficiles - à l'évidence, les émeutiers athéniens de la semaine dernière ne le comprennent que trop bien. Au fur et mesure que les pays d'Europe réformeront leur système économique, il faudra donc s'attendre à voir bon nombre de manifestations dans les rues de Lisbonne, de Madrid et de Rome.

Mais avant de sombrer dans le défaitisme complet, il faut tout de même souligner les bons côtés du plan de Bruxelles. Les mesures qui vont être prises sont importantes, non seulement parce que les fonds engagés sont d'un montant sans précédent (le plan de stabilisation est plus important que les économies de la Finlande et des Pays-Bas réunies) mais aussi parce qu'elles marquent la disparition de deux idées dangereuses - et signifient que les chefs d'Etat européens cesseront d'en faire la promotion.

En adoptant ce plan, l'Europe va se trouver dans l'obligation de reconnaître que l'organisation de la zone euro est défectueuse; et ce jusque dans ses fondations. Il ne sera plus possible d'entretenir le faux espoir selon lequel une politique monétaire centralisée peut aller de pair avec la décentralisation fiscale. Depuis la création de la monnaie unique, les taux d'intérêt et la masse monétaire de toute l'Europe sont gérés par une seule et même entité, la Banque centrale européenne (BCE) - tandis que les impôts et les dépenses publiques dépendent directement des gouvernements nationaux.

L'accord de dimanche dernier prouve que les dirigeants européens ont compris qu'il suffisait d'un maillon faible pour que la chaîne de l'union monétaire se rompe, et qu'il était donc nécessaire de mettre en place une solide coordination fiscale. Certains pays devront inévitablement céder une partie de leur autonomie, jusqu'ici utilisée pour (mal) gérer leurs affaires fiscales. La décision de la BCE de racheter des emprunts d'Etat fera également date: la banque centrale prétendait jusqu'à présent qu'elle n'aiderait aucun gouvernement en difficulté pour quelque raison que ce soit.

Ces mesures marquent également la fin de l'idée selon laquelle la zone euro n'avait besoin de personne pour résoudre ses problèmes. De l'aide est venue de la Réserve fédérale américaine, du Fond monétaire international (FMI) ainsi que d'autres pays européens ne faisant pas partie de la zone euro. Le FMI a consenti à une aide financière sans précédent, et, comme d'habitude, ses conditions sont strictes. L'institution jouera un rôle central: si l'Europe veut accéder aux fonds, il faudra qu'elle se plie à ses instructions.

L'Europe va enfin se débarrasser de ces vieilles illusions, et c'est une bonne nouvelle. Mais les bonnes nouvelles s'arrêtent là. Tout d'abord, ces 750 milliards d'euros ne représentent qu'environ dix-huit mois des besoins de financement des pays les plus vulnérables. Et contrairement à ce que l'on peut entendre, l'Italie en fait bel et bien partie; le poids de sa dette et son désavantage quant au coût de la main d'œuvre sont aussi importants que ceux de la Grèce. Les problèmes de ces pays - perte de compétitivité, trop de fonctionnaires, rigidité des marchés du travail - ne pourront de toute évidence pas être résolus par une nouvelle facilité d'emprunt. En adoptant ces mesures, l'Europe se contente de gagner du temps. Très peu de temps.

Et de fait, l'Europe devra aller très vite pour aider ces pays à remonter la pente. Il ne s'agit pas de sauver des banques insolvables, comme les gouvernements ont pu le faire à la fin 2009: aujourd'hui, ce sont des gouvernements affaiblis qui tentent de renflouer d'autres gouvernements affaiblis. La Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Italie en sont par exemple de leur poche pour 6% de leur PIB (sans compter l'argent que la Banque centrale européenne pourrait perdre en rachetant, comme convenu, certains emprunts d'Etat). Des dépenses que ces pays ne peuvent tout simplement pas se permettre. Par ailleurs, le ratio dette publique/PIB moyen des pays du G20 étant en passe d'atteindre les 120% d'ici 2015, il est possible que l'Allemagne, la France et d'autres encore ne soient bientôt plus en mesure de couvrir les arrières des pays en difficulté.

Le problème, c'est que si les Européens ont besoin de ces réformes, ils n'y sont en revanche clairement pas préparés; les hommes politiques n'ont pas clairement expliqué la gravité de la situation à leurs concitoyens. Il faut que les Européens comprennent que ces réformes - nécessaires et extrêmement impopulaires - doivent être mises en œuvre, sans quoi les fonds récemment débloqués ne suffiront pas à les sauver. Plutôt que de repousser une nouvelle fois les réformes, les chefs d'Etat doivent profiter de ce sursis pour constituer des coalitions politiques à même d'implémenter les changements nécessaires.

En pratique, que va-t-il se passer? C'est bien simple: lorsque l'économie d'un pays est malade les remèdes sont tout désignés. L'Espagne, le Portugal et l'Italie doivent réduire leur déficit budgétaire, geler ou baisser le salaire des fonctionnaires, et réformer les marchés du travail pour relancer la productivité et regagner en compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne. Pendant ce temps, l'Allemagne et les autres pays jouissant d'une économie saine doivent prendre des mesures musclées pour stimuler la demande intérieure, et ce afin de stopper l'Europe dans sa chute vers la déflation.

Dans ce cas de figure, les dirigeants européens devront très vite admettre leur incapacité à honorer certaines dettes - c'est évidemment le cas de la Grèce. Plutôt que de demander aux contribuables grecs et européens de porter seuls ce fardeau, ils devraient amener les créanciers privés à payer une partie de l'addition.

Ce n'est pas en suivant les circonvolutions des marchés financiers que l'on pourra mesurer l'efficacité des mesures économiques décidées dimanche par les chefs d'Etat européens. Le succès se mesurera à la détermination et à la rapidité que mettront les pays européens à lancer leurs réformes économiques. Et aussi tragique que cela puisse paraître, les manifestations de Lisbonne, de Madrid et de Rome seront un bon indicateur du sérieux avec lequel les gouvernements de ces pays mettent en œuvre ces réformes.

PNSF

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